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Entretien avec Dr. Cécile Godot, formatrice en ETP [1] et Docteur en pédiatrie, par Omer Urat.

L’éducation thérapeutique du patient n’est pas une idée nouvelle et le concept d’empowerment n’est pas récent. Conceptualisée dans les années 70, l’ETP est employée de manière effective depuis plus de 30 ans dans beaucoup de spécialités. En Europe, le concept connait un réel succès en France et se développe dans une moindre mesure en Belgique.

Selon l’OMS, l’éducation thérapeutique vise à l’acquisition de compétences thérapeutiques par le patient afin qu’il puisse mieux vivre avec sa maladie. La définition du concept est identique tant pour les adultes que pour les enfants. Néanmoins, des spécificités existent lorsqu’il s’agit de soigner des enfants. Qu’en est-il vraiment ? Applique-t-on les mêmes principes ? Comment cela se passe au quotidien ? Explications étape par étape.

Du référentiel au programme personnalisé

Afin d’améliorer le quotidien du malade chronique, l’établissement d’un diagnostic éducatif constitue la première étape. Celui-ci est réalisé lors de la première rencontre entre le professionnel et l’enfant accompagné de ses proches. Ce processus permet d’identifier les besoins de l’enfant et de sa famille. Ensuite, une synthèse est établie en respectant le projet de vie de l’enfant.

L’identification des besoins de l’enfant et de la famille permet de les intégrer dans le programme thérapeutique. En effet, « En amont de la création d’un programme personnalisé, on définit un référentiel de compétences. Il s’agit d’un document proposant différentes compétences à atteindre en fonction des objectifs sélectionnés. Cela permet d’accomplir des actions personnalisées en fonction des concepts prédéfinis. C’est-à-dire, qu’en fonction des séances préétablies et selon les objectifs à atteindre, on sait déjà ce qu’on peut travailler, comment on va les travailler, tout en choisissant précisément ce qu’on va travailler dans l’éducation thérapeutique. »

Du diagnostic éducatif au programme thérapeutique

Afin d’atteindre les objectifs, le professionnel questionne le patient pour évaluer ses connaissances, son degré de compréhension par rapport à sa maladie. Cette démarche pédagogique est indispensable pour favoriser une bonne adhésion thérapeutique.

En effet, l’adhésion thérapeutique nécessite avant tout d’établir un programme qui soit individualisé, fondé sur base des ressources et des besoins propres au patient : « J’utilise la même méthode pour tout le monde, peu importe le niveau d’éducation du patient. C’est-à-dire, je vais apporter des connaissances sur ce que le patient a déjà acquis en la matière. On va les ancrer sur ses acquis actuels. Ce n’est pas parce qu’un patient pense de manière erronée qu’il faut forcément les juger, il faut le convaincre de les modifier afin d’intégrer de nouvelles connaissances qui permettent un changement de comportement en santé. Le but n’est pas de faire table rase pour recommencer, mais de construire à partir de ce que le patient connait déjà. »

Passer du programme personnalisé à l’évaluation

Toujours en amont, les outils d’évaluation, les ateliers pédagogiques et les critères d’évaluation sont réfléchis avec le patient lors de la création du programme thérapeutique personnalisé. Ce dernier définit les aptitudes importantes à travailler avec le professionnel. Il est pour cela important d’établir une relation de confiance pour favoriser les échanges, les objectifs du professionnel et du patient étant interdépendants.  En effet, « une fois qu’on se retrouve face au patient, on a une sorte de boîte à outils dans laquelle on va piocher avec lui ce dont on a besoin. Cela permet de réaliser des actions personnalisées avec une base qui est prédéfinie. »

Pourtant, faute de temps et/ou de moyen, il n’est pas rare que l’évaluation du programme thérapeutique soit omise. « Il y a le monde idéal et il y a la pratique. Pour être honnête, il n’y a quasiment personne qui évalue les compétences qui sont atteintes par le patient. Dans ma pratique personnelle, et dans les autres programmes thérapeutiques, une fois qu’on a fait le diagnostic éducatif et qu’on a fixé des objectifs avec le patient, on a défini le programme personnalisé. En fin de programme personnalisé, on est sensé faire une séance où l’on va évaluer, non pas tous les objectifs, car c’est trop compliqué, mais quelques objectifs pédagogiques importants. Il y a donc un temps d’évaluation posé pour lesquels on a des outils d’évaluation en lien avec certaines compétences visées, mais pas toutes. »

Les trois particularités de l’éducation thérapeutique en pédiatrie

Par définition, un enfant n’est pas (encore) apte à s’autogérer au quotidien. Il est sous l’autorité bienveillante de ses parents ou des institutions qui en ont la charge. Trois principaux critères sont à souligner : l’entourage, la pédagogie et le vécu de l’enfant.

L’entourage constitue le premier élément. Lorsque le professionnel de la santé propose un programme thérapeutique à un enfant, il doit tenir compte des personnes qui l’entourent, dont les parents et les personnes qui vont s’occuper de lui au quotidien, comme les grands parents, les éducateurs, etc…  La prise en compte de l’entourage a donc son importance.

Deuxièmement, la pédagogie. On ne peut pas apprendre une même matière aux enfants et aux adultes de façon identique. L’adaptation des outils et des méthodes pédagogiques à utiliser se font en fonction de l’âge de l’enfant et de son niveau de maturité.

Troisièmement, le vécu de l’enfant. Le professionnel de la santé doit tenir compte du vécu de l’enfant et l’accompagner jusqu’à son passage à l’âge adulte. C’est pourquoi le programme thérapeutique est constamment réévalué et réadapté en fonction des besoins de l’enfant qui évolueront dans le temps. Des étapes comme un premier voyage scolaire sans les parents, l’entrée à l’école, etc… vont créer de nouveaux besoins éducatifs. Pour maintenir un suivi cohérent, des adaptations s’avéreront régulièrement nécessaires.

L’omniprésence de l’ETP en pédiatrie

Les professionnels de la santé estiment qu’à partir de l’âge de six ans, un enfant est apte à l’abstraction. Et pour les patients plus jeunes ? « Personnellement, il s’agit d’une question pour laquelle je n’ai pas vraiment de réponse…  Il s’agit d’une vraie réflexion en pédiatrie, car l’enfant est présent et va participer aux soins. Et cela, même s’il n’est pas capable de comprendre l’intégralité du soin. Par exemple, mon plus jeune patient est âgé d’un an. Pour l’impliquer dans le processus thérapeutique et lui expliquer, lui montrer ce qu’il va se passer, on peut par exemple préparer le matériel avec lui, réfléchir au moment opportun de la journée afin de prodiguer les soins avec les parents, etc. Il s’agit au final de réflexions très pratico-pratique… Je peux également donner l’exemple d’un patient âgé de 3 ans qui est capable de faire des glycémies capillaires. Certes, les parents n’ont pas forcément envie de montrer cela à leur enfant. Néanmoins, cela montre qu’un enfant est apte à faire certaines choses avant l’âge de 6 ansA partir de 3 ans on pourrait donc probablement lui proposer des apprentissages, même si très peu de professionnels le font. Je suis malgré tout convaincue qu’avant 3 ans, l’enfant a conscience de ce qu’il fait. »

Aujourd’hui, le manque de réflexion et de consensus sur les soins thérapeutiques qui pourraient être proposés aux tout-petits est marquant. La littérature scientifique semble lacunaire en la matière et reste donc à développer prochainement.

Les différentes méthodologies en matière de création d’un programme thérapeutique en pédiatrie en fonction des capacités des enfants

L’enfant ne possédant pas la capacité d’abstraction et d’association d’idées avant un certain âge, il est nécessaire de passer par d’autres méthodes lors des séances thérapeutiques pour arriver à un résultat probant. Par exemple, la technique des mots croisés peut être utilisée pour informer les parents sur les connaissances de la maladie de leur enfant. Par contre, elle n’est pas exploitable avec l’enfant trop jeune. En effet, c’est généralement vers l’âge de dix ans qu’un enfant est capable de structurer sa pensée par des mots clés. En pédiatrie, le travail d’information est différent avec un enfant en bas-âge. « Pour les tout-petits, l’apprentissage se fait au moyen de petites comptines ou sous forme de jeu. On va écrire le nom de la maladie et l’enfant va devoir donner le mot qui lui vient à l’idée. Quand on lui dit " Diabète, la lettre D ça te fait penser à quoi ? "… Ce ne sont pas du tout les mêmes outils ou techniques d’animation que l’on utilisera. »

Ensuite, les capacités de concentration d’un adulte et d’un enfant ne sont pas identiques. « Un adulte peut suivre une activité assez longtemps, même si au-delà de 45 minutes il est déjà moins concentré. Tandis que, pour les enfants entre 6 et 9 ans, il faut proposer des activités, dont la durée de chacune est de maximum 15 minutes. » En définitive, le professionnel de la santé organise différemment un atelier s’il est destiné à un enfant ou à un adulte, et cela peu importe la matière.

Domaine d’application de l’ETP

En ce qui concerne la prévention tertiaire [2], l’ETP est indispensable pour les maladies chroniques contrairement à d’autres champs comme l’éducation à la santé. La logique de processus est omniprésente. Afin de bénéficier des bienfaits de l’ETP, les notions de durée, de chronicité, ou de répétition sont importantes.

De plus, la maladie n’est pas forcement guérissable. La notion de temps est donc indispensable pour que le patient puisse mettre en œuvre ce qu’il a appris. Dans le cas contraire, « le patient n’a pas la possibilité de pratiquer ce qu’il a appris. Donc, il s’agit simplement d’une transmission d’information et non de l’éducation. »

L’éducation thérapeutique pour des maladies chroniques dites « guérissables », comme par exemple les allergies alimentaires, devra par contre s’inscrire dans la durée.

Déroulement d’une prise en charge d’un traitement chronique, le diabète

Dans le cas d’un enfant diabétique, les séances thérapeutiques intégrées dans la culture de ce type de soin, sont automatiquement prévues. « Personnellement, je pense qu’il est impossible de prendre en charge une maladie chronique sans éducation thérapeutique. Je ne comprends pas comment un patient peut vivre avec une maladie chronique s’il n’y a pas d’éducation thérapeutique. Tous les professionnels de la santé ne sont pas d’accord sur cette façon d’agir. Certains estiment qu’il devrait y avoir une proposition du suivi afin qu’il y ait un choix et une adhésion active du patient pour réaliser de l’éducation thérapeutique. Dans mon cas, c’est tellement intégré dans ma façon de voir la prise en charge, que je ne propose pas mais j’annonce qu’il y a aura des séances d’éducation thérapeutique. »

La particularité de l’hôpital Necker de Paris est que le centre propose une large gamme de spécialisations. En pédiatrie par exemple, les pathologies les plus fréquentes, telles que l’asthme, les allergies alimentaires, l’obésité, les insuffisances digestives, les nutritions entérales, para-entérales, toutes les maladies dermatologiques rares, la cardiologie, l’insuffisance cardiaque, les pathologies rares, etc. sont traitées. En tout, il y a quelques 44 programmes d’éducation thérapeutique au sein du complexe hospitalier.

En effet, le but d’établir des séances thérapeutiques est de permettre au patient de vivre mieux avec sa maladie au quotidien et le consentement se fait donc tacitement en matière de diabète. En France, l’éducation thérapeutique est intégrée depuis de nombreuses années au sein des soins de santé dans les maladies chroniques, et ce, dans une démarche clairement établie par les autorités compétentes. Contrairement à la Belgique, où il n’y a pour l’instant pas de modèle à suivre, l’éducation n’en étant qu’à ses débuts.

Les difficultés dans la mise en place de séance en ETP

La contrainte du temps est problématique. « On ne nous donne pas du temps dédié à cette activité. On va donc l’ajouter en plus au reste de notre planning. Je pense que si on nous donnait des moyens, on arriverait à dégager du temps. C’est vraiment le principal frein dans toutes les équipes. » En effet, l’hôpital Necker idéalement situé, ne pose aucun problème d’itération de santé ou d’accès aux soins. Il draine un vaste territoire où la prise en charge de l’enfant nécessitant des soins lourds ne pose aucun problème particulier.

Pour le patient, la gestion du temps est également problématique en matière d’éducation thérapeutique. En plus des contraintes liées au suivi médical, les séances thérapeutiques ne peuvent être organisées que sur leurs heures d’école, d’activité professionnelle ou de temps libre.

Une même maladie avec différents programmes thérapeutiques

Deux personnes avec une pathologie identique n’auront pas le même programme thérapeutique. Pour atteindre le même objectif, l’expert va aborder le programme différemment en fonction des connaissances de chaque patient. Cela nécessite pour la personne formatrice des ressources d’adaptation poussées. Tous les professionnels de la santé ne sont pas formés à prodiguer des programmes thérapeutiques.

« On l’est indirectement dans la formation certifiant parce qu’on va sensibiliser, ou en tout cas faire prendre conscience de ces nécessités-là. Mais il n’y a pas une formation spécifique à l’adaptation. Ce qui va permettre cette adaptation c’est l’expertise qu’on a de ce qu’on est en train d’apprendre, donc inévitablement les équipes feront différemment. C’est compliqué pour moi qu’un médecin anime une séance à la place d’une diététicienne ou qu’une diététicienne anime une séance d’une infirmière… C’est important d’être concret sur son expertise parce que plus on va être expert dans un domaine et plus on va être capable de prendre du recul sur ce qu’on est en train de travailler pour s’adapter au plus proche du patient. Le degré d’expertise est important et dans la pathologie, et en éducation thérapeutique du patient. Si on est à l’aise avec les méthodes d’animations on arrive plus facilement à modifier les habitudes des personnes. »

Tous les professionnels ne sont cependant pas aptes à intégrer l’ETP dans le processus thérapeutique.  « Parce que certains n’en ont pas les compétences, d’autres n’ont pas la posture adéquate. La posture est essentielle, si l’on a pas cette volonté de se mettre dans cette position de partenariat, ça ne marchera pas. »

En conclusion, il s’agit d’un partenariat entre le patient et le professionnel, c’est une décision commune et pas seulement des engagements. Tout le fond est primordial.

[1] Cécile Godot est formatrice à l’Ipsem

[2] Apprendre à éduquer le patient, D’Ivernois et Gagnayre, éd. Vigot, 1995, p13